Quand j’ai eu mon premier enfant, je me posais beaucoup moins de questions que maintenant. Pour moi, c’était une évidence de le laisser s’épanouir librement sans restrictions aucune sur ses jeux, ses expressions… et puis je me suis un peu intéressée à tout ce qui avait trait à l’éducation. Et j’ai été confrontée à la vision des autres en général et de la société en particulier. Et je me suis rendue compte que l’éducation genrée se faisait de façon insidieuse, et la plupart du temps muette.

A la naissance de ma fille, mon constat s’est renforcé. Dès la naissance, le regard qu’on portait sur mes enfants étaient différents. A lui, on lui disait de manger pour être grand et fort. A elle, on lui disait de manger pour être en bonne santé. A lui, on lui disait que son pull était mignon. A elle, on lui disait qu’elle était jolie.
Une petite phrase par ci, une autre par là, c’est très discret. Je ne l’ai pas remarqué immédiatement. Et je pense y avoir contribué également. L’imaginaire collectif, je le partage. Mais, après ma prise de conscience, c’est devenu mon cheval de bataille. Et j’ai fait très attention à ce que je disais / faisais. A titre d’exemple, je ne sais plus qui a offert des boucles d’oreilles à Ernestine. Des babioles autocollantes qu’on trouve chez Claire’s (et sûrement ailleurs). Ernestine était ravie, évidemment. Et Alphonse aussi : si elle avait le droit de se coller un sapin sur les oreilles, Alphonse avait le droit également. A chaque fois qu’Alphonse en a fait la demande, il a eu le droit d’avoir du vernis à ongle sur les pouces ou de se déguiser en princesse, comme sa sœur. J’ai à chaque fois attention que ce soit naturel pour lui. Ce n’est qu’un jeu. De la même façon, Ernestine a absolument voulu se déguiser en pompier pour le carnaval de l’année dernière et elle adore jouer aux petites voitures (même si elle a une préférence pour les hélicoptères, mais nous en avons beaucoup moins !) je ne lui ai jamais dit « c’est pour les garçons »
Et pourtant… ils sont à l’école tous les deux maintenant. Lui, en grande section et elle en petite. Et le clivage fille / garçon est bien là. Combien de fois n’ai-je pas entendu « tu ne peux pas faire ça, c’est pour les filles / garçons » ? Jouer au foot ou à la poupée, promener bébé en poussette, parler de Spiderman… j’interviens à chaque fois, essayant de rétablir l’équité mais j’ai franchement l’impression de me battre contre des moulins à vent. Je n’abdique pas mais je dois avouer que je suis parfois bien démoralisée. Comment réagir à Ernestine qui me dit, du haut de ses 3 ans et demi, qu’elle n’a « que des copines, parce que les garçons c’est pas intéressant » ?! Qui lui a mis cette idée dans la tête ?
Dans un podcast des savantes, Nicole El-Karoui, mathématicienne, racontait l’expérience suivante : dans une classe de primaire on avait donné un exercice à réaliser aux écoliers. Il s’agissait de reproduire une figure complexe. Dans la classe dans laquelle on avait présenté cet exercice comme un exercice de géométrie, les garçons avaient en moyenne mieux réussi. Dans celle dans laquelle on avait présenté cet exercice comme un exercice de dessin, c’étaient les filles qui avaient mieux réussi. Alors je me demande bien : comment lutter contre ces préjugés inconscients ?!
Hier encore j’ai entendu un fait divers horrible aux infos. Une sombre histoire de pédophilie impliquant huit (8 !!!) adultes, 5 hommes et 3 femmes. Les cinq hommes ont été placés en détention provisoire. Pas les femmes. Mais pourquoi ? Des femmes perverses, il en existe aussi. Pourquoi ces monstres ne reçoivent-il pas le même traitement en attendant l’instruction ? A la découverte de l’affaire, qui peut préjuger du rôle de chacun ? J’ai l’impression qu’encore une fois l’imaginaire collectif s’en charge. Je sais que mon exemple est glauque, mais je le trouve également probant : la sphère sociale écrase complètement la sphère privée en terme d’éducation genrée.
Bien sûr, je répète dès que je le juge nécessaire à mes enfants qu’il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons. Que si l’un a droit de faire ça, ça veut dire que l’autre en a également le droit. Mais est-ce suffisant ? Je suis hélas convaincue du contraire. Et le poème (magnifique) de Kipling, écrit en 1895 est toujours d’actualité :
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;
Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;
Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;
Si tu sais méditer, observer et connaitre,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maitre,
Penser sans n’être qu’un penseur ;
Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.
En revanche, l’injonction « sois une femme, ma fille » reste lettre morte.
Et toi ? Comment fais-tu pour assurer une éducation non genrée ?